L’apprentissage de l’écriture au cœur de l’été
Pour beaucoup de parents souhaitant faire l’instruction en famille, l’apprentissage de l’écriture est au coeur de nos réflexions d’été. En effet, à l’heure où le rythme de chacun s’est déjà largement allégé, certains d’entre vous préparent ou, du moins, réfléchissent activement à la prochaine rentrée de leur(s) enfant(s) et notamment à l’apprentissage de l’écriture pour les enfants qui ont, ou vont avoir, 6 ans et tombent sous le coup de l’obligation d’instruction.
Sur les réseaux, plusieurs d’entre vous se démènent pour mettre en place l’équivalent d’une classe 1 de la progression Steiner et saisir un tant soit peu comment l’écriture et la lecture sont enseignés dans cette pédagogie.
Pour vous y aider, voici un article pas très long et très accessible sur l’apprentissage de l’écriture dans la pédagogie Steiner ; il est rédigé par une enseignante Steiner et traduit par mes soins. C’est un article vraiment très intéressant qui vous explique bien l’esprit de la pédagogie Steiner sur ce point de l’apprentissage de l’écriture et par conséquent de la lecture.
Si vous désirez utiliser cette pédagogie avec vos enfants, il est fondamental de comprendre son esprit ; cette pédagogie crée une alchimie merveilleuse avec l’enfant parce qu’elle repose sur un esprit. Elle n’est donc pas un ensemble de « recettes éducatives » toutes prêtes que l’on peut utiliser sans conscience de ce que ces pratiques représentent dans la pédagogie Steiner.
Elle est un tout très cohérent jusqu’au travail intérieur qu’elle implique pour le parent-enseignant. Cependant, à chacun de l’utiliser au niveau de profondeur qui lui convient ; il est toutefois important que les personnes qui s’intéressent à cette pédagogie soient informées de ce sur quoi elle repose.
L’apprentissage de l’écriture
Par Eileen Hutchins
D’après les archives de la bibliothèque Rudolf Steiner, Gand, NY.
Cet article a été publié Education as an art, Rudolf Steiner School Assn., NY. Vol.21, No. 1, été 1960
Disponible en téléchargement libre sur http://www.waldorflibrary.org/articles/603-the-teaching-of-writing
Enseigner les premières lettres aux enfants de six ou sept ans est une expérience heureuse. Même ceux qui connaissent déjà leur alphabet sont ravis de suivre la courbe du W dans le flux de la vague1 et la forme cabrée du serpent dans le S.
Il n’est pas difficile pour eux de se souvenir des lettres qui sont enseignées à travers des images, et ils s’amusent à les exprimer dans des couleurs vives dans leurs livres. La vraie difficulté vient plus tard, quand on doit passer de l’étape des lettres à celle des mots, et quand les formes et les images doivent être associées aux sons particuliers.
A ce stade, il vaut la peine que l’enseignant s’interroge sur le développement de l’écriture au cours des âges ; car une compréhension plus profonde de l’histoire qui se cache derrière ces marques apparemment arbitraires, appelées lettres, nous guide dans la construction du pont entre l’apprentissage de l’alphabet et la compréhension des mots et des phrases.
En enseignant l’écriture, nous devrions nous préoccuper non pas tant des formes des lettres individuelles que des pouvoirs de compréhension et de mouvement qui sont appelés.
Nous devons considérer ce qui se passe dans la vie de l’âme de l’enfant quand on lui montre un certain nombre de signes dénués de sens et qu’on lui dit que ceux-ci représentent des mots bien connus.
Ou encore, que se passe-t-il dans le développement corporel quand les pages doivent être remplies de marques noires ondulées. Il y a longtemps, l’humanité n’avait pas acquis les capacités d’écrire et de lire.
Quelles que soient les forces que nous employons aujourd’hui pour atteindre ces objectifs, elles étaient étaient dirigées vers d’autres fins, et ainsi les pouvoirs de la pensée imagée et de la parole étaient beaucoup plus vifs.
Seuls ceux qui avaient suivi la formation la plus stricte pour que la vivante qualité de penser et de sentiment ne soient pas perdues dans les signes abstraits étaient autorisés à écrire.
Les professeurs d’autrefois auraient été horrifiés si l’art de l’écriture avait été utilisé tel qu’il l’est aujourd’hui à des fins tout à fait triviales. Seul ce qui était le plus haut et le plus sacré méritait d’être exprimé, et un scribe pouvait même être mis à mort si une erreur était faite dans la transcription des textes sacrés. Les enfants qui apprennent à écrire aujourd’hui devraient également avoir l’impression que des significations merveilleuses sont cachées dans les lettres et les mots et que celles-ci doivent être écrites avec beauté et dévotion.
La parole et la pensée précèdent le mot écrit, et différentes qualités de pensée ou de parole trouvent différents degrés d’expression dans les différents alphabets. Certains révèlent plus fortement la qualité d’image de la pensée, comme les hiéroglyphes égyptiens.
D’autres sont plus préoccupés par sa force et son mouvement. Par exemple, dans l’écriture cunéiforme de l’époque chaldéenne, il n’y a pas de qualité d’image. Les lettres en forme de coin nous rappellent de petites flèches qui visent juste. Les Chaldéens ressentait l’élément de volonté du discours qui transperçait l’auditeur avec le pouvoir de blesser ou de guérir.
Dans l’alphabet grec, nous trouvons que la puissance, créative et croissante, du son est représentée. Il y a quelque chose de plastique dans les lettres grecques, et nous pouvons souvent ressentir leurs liens avec les mouvements de l’eurythmie.
Il y a un script ancien qui semble n’avoir aucun lien avec l’image ou le son, c’est l’alphabet Ogham des Celtes. Il était divorcé du symbole et de la forme, non parce qu’il était purement abstrait et vide de contenu, mais parce que la sagesse exprimée était si sacrée qu’aucun de ceux qui n’étaient pas initiés ne devinait son sens.
La série de coupures ou d’encoches ne pouvait donner aucun indice des mystères qu’ils avaient à transmettre. L’étude des lettres Ogham est très éclairante pour l’enseignant qui voudrait pénétrer les processus qui se cachent derrière la formation d’un alphabet.
Les cinq premières lettres de ce script sont formées par une série de rayures, une, deux, trois, quatre ou cinq, en dessous et perpendiculairement à une ligne ; les cinq suivants par une série similaire au-dessus d’une ligne ; l’ensemble suivant est dessiné sur une ligne à un angle aigu, et ainsi de suite. Aucun alphabet antique ne semble si dénué de vie ; pourtant toutes les lettres avaient des noms, et celui qui les connaissait savait quelque chose de leur signification.
Robert Graves dans son livre La déesse blanche a tenté de pénétrer les mystères des lettres Ogham. Ils avaient tous le nom d’arbres, et il conclut qu’ils expriment ce qu’il appelle une « magie saisonnière des arbres ».
La première lettre est appelée « bouleau », la deuxième « sorbier », la troisième « frêne » et ainsi de suite. Il y a treize consonnes importantes, et il les rapporte aux treize mois lunaires de l’année solaire, tandis que les cinq voyelles sont plus liées aux arbres reliés aux planètes.
Les druides préféraient exprimer leur alphabet par une sorte de langage sourd et muet sur les doigts et ne faisaient que déplacer les mouvements vers des encoches sur la pierre ou le bois quand ils devaient communiquer avec ceux qui n’étaient pas présents.
Chaque doigt était ressenti comme ayant sa qualité spéciale. Le pouce était le plus apte à ressentir l’amour, le premier doigt la connaissance, le majeur pouvait prédire le temps, le quatrième doigt diagnostiquait une maladie, et le cinquième doigt pouvait deviner la mort ou faire parler un cadavre. Nous n’avons pas besoin d’accepter toutes les conclusions de Robert Graves comme valides, mais il a compris que les qualités vivantes des arbres et le moment de l’année où ils atteignent leurs forces les plus fortes sont liées aux qualités des sons auxquels ils donnent leur nom .
Nous savons aussi grâce à l’eurythmie que chaque consonne a sa qualité particulière en relation avec le passage du soleil à travers les douze groupes d’étoiles. Et grâce à la nature de leurs sons, les consonnes peuvent travailler de manière vivifiante ou apaisante sur la vie de l’âme de l’enfant. Nous apprenons aussi à travers l’eurythmie que chaque son a sa forme juste et nécessaire.
L’image, le mouvement et le son – tout cela se trouve derrière les lettres qui sont maintenant devenues des signes conventionnels, et les enfants devraient sentir la présence de ces pouvoirs quand ils apprennent à écrire.
La plupart des enseignants trouvent que les enfants diffèrent beaucoup dans leurs capacités à saisir ce qu’ils apprennent. Certains se rapportent plus facilement à l’élément image, tandis que d’autres sont plus conscients du son.
Quelques-uns peuvent former leurs lettres très magnifiquement sans s’éveiller à la conscience de l’image ou du son. Dans ma première année, j’ai eu plusieurs exemples remarquables.
Un petit garçon avait un sens merveilleux de la couleur et dessinait les lettres les plus belles; mais si je lui demandais un mot commençant par le son « t », il aurait pu tout autant me répondre « chèvre » ou « cochon ».
Pendant longtemps, il n’a pas pu relier les mots commençant par le même son. D’un autre côté, il y avait une petite fille qui aimait l’histoire et les images du serpent et du poisson ; mais quand elle venait à les dessiner, son serpent était une série de secousses nerveuses et son poisson était plus comme une saucisse qui explose dans une poêle.
Elle n’avait aucune capacité à contrôler la forme de ce qu’elle comprenait vraiment bien. Elle était, cependant, très musicale, et n’avait aucune difficulté à fournir une chaîne de mots commençant par n’importe quel son qui lui était donné. Un troisième enfant qui venait d’une ferme pouvait copier ses lettres avec de belles courbes et des couleurs tendres, mais il vivait dans un rêve et ne se souvenait jamais de ce que l’un d’eux voulait dire.
Nous devons garder à l’esprit tous ces genres et, dans l’enseignement des lettres, les images, les mouvements et les sons doivent tous jouer leur rôle pour que les différents enfants s’harmonisent.
En ce qui concerne les images, chaque enseignant devrait faire les siennes, mais il vaut mieux, je pense, donner celles qui impliquent le mouvement plutôt que celles qui sont statiques. Le serpent, le poisson et la vague sont tous bons de ce point de vue. Pour le « R » l’image d’un cheval est plus vivante que celle d’une maison, bien qu’il soit très tentant de dessiner une jolie petite maison avec deux hautes cheminées. Pour « G »2 une oie regardant en arrière sur sa queue est plus comique et attrayante qu’une porte ouverte menant à un jardin.
Tandis que les enfants sont occupés à développer leurs lettres, une grande attention devrait être accordée à la forme pour elle-même. Dans de nombreux jeux et exercices, ils peuvent exécuter des lignes droites et des courbes, et c’est une bonne pratique de les laisser dessiner ou écrire sur une grande échelle, peut-être avec un balai à frange humide sur le sol ou un râteau dans le bac à sable.
Presque à chaque leçon principale j’ai pris l’habitude de permettre à certains des enfants de ma première année de venir à tour de rôle dessiner sur le tableau noir. Ils pouvaient choisir leurs propres couleurs pour faire de fortes lignes droites ou des courbes audacieuses, et bientôt ils gagnaient en confiance et pouvaient dessiner avec force et certitude.
Lorsque les enfants apprennent à connaître leurs lettres, la copie de l’écriture doit aller de pair avec des mots ou versets qu’ils connaissent déjà par cœur. Puis progressivement l’écriture prend un sens pour eux.
Les comptines sont très utiles dans les premières leçons d’écriture, car les enfants reconnaissent soudain avec la grande joie de la découverte les mots familiers qui émergent de toute une série de lettres brouillées.
Il est déconseillé de faire des phrases spéciales avec des mots très simples pour que l’écriture soit facile pour eux, car c’est vraiment ennuyeux et cela leur donne l’impression que l’écriture n’a rien de très important à dire. Ils devraient garder les meilleurs livres, et leur travail dans ces derniers devrait être une affaire très sérieuse et solennelle.
En même temps, dès que les enfants commencent à reconnaître les mots, je pense qu’il est utile de leur donner des dictées de minuscules phrases qu’ils connaissent par cœur, où les lettres suivent de près les sons. Ils ont ainsi une pratique continuelle de l’écoute. Les enfants acceptent volontiers l’incohérence de l’orthographe.
L’enseignant peut expliquer que chaque mot est comme une famille; et tout comme la plupart des familles ont des bébés ou des vieilles mamies qui ne travaillent pas, la plupart des mots ont des lettres qui ne font aucun bruit. De même que leurs pères aiment parfois changer de travail en se levant de leur bureau pour aller creuser dans le jardin, certaines lettres aiment changer de travail. « C » fera parfois le travail du roi « K »3, mais parfois il préfère faire le son du serpent.
L’orthographe en anglais est certainement un handicap pour progresser rapidement dans l’écriture et la lecture ; mais c’est peut-être une grâce salvatrice pour les Anglais, qui aiment tellement prendre la vie facilement et juger du point de vue du bon sens, que dans leur orthographe ils ne peuvent pas se sentir en sécurité un seul instant. Peut-être qu’ils doivent aussi à leur orthographe et à leurs tableaux de mesure et de poids qu’ils sont rarement très pédants.
L’aide principale à la saisie du son dans les lettres devrait être l’eurythmie.
Il est préférable qu’un professeur de classe puisse travailler en étroite collaboration avec un eurythmiste pour que les enfants apprennent à écrire, comment le mouvement et la forme sont créés en fonction du son, tout comme la poésie, qui peint les images des mots pour l’âme , peut aussi s’exprimer en mouvement qui appelle l’esprit à danser.
C’est une tâche ardue pour l’enseignant d’aider sa classe à déployer tous les pouvoirs qui se cachent derrière la formation des lettres; mais cela vaut merveilleusement la peine.
Peut-être la plus grande récompense vient quand un enfant dont les facultés semblaient dormantes, soudainement, commence à se réveiller.
L’écriture qui était si infirme et laide pousse en beauté et en force; et les yeux qui semblaient perplexes et craintifs brillent d’une nouvelle lumière. Que tous ceux qui enseignent l’écriture et la lecture le prennent autant au sérieux que ces maîtres d’autrefois.
Eileen Hutchins était enseignante à l’école Elmfield, près de Stourbridge, en Angleterre. Son article est réimprimé avec l’aimable autorisation de Child and Man.
1NDT : « vague » en anglais se dit « wave » et commence donc par W.
2NDT : « G » pour « goose », l’oie en en anglais.
3NDT : « K » pour « king », le roi, en anglais.
Toutes les illustrations de cette publication sont issues de l’abécédaire Chant des Fées dont vous pouvez trouver une présentation ICI.
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- Monique