Instruire les grands enfants (niveau collège) avec la pédagogie Steiner
Par « grands enfants », j’entends ici les enfants à partir de 11 ou 12 ans, c’est-à-dire les enfants en âge d’être au collège dans le système public et en classe 5 dans la progression Steiner (10/11 ans).
Instruire ses enfants est en général une aventure certes passionnante et extraordinaire, mais c’est aussi un défi à bien des égards ; cela nécessite de renforcer sa confiance en soi, sa confiance en ses enfants, et aussi sa confiance dans l’institution qui nous contrôle.
Le défi se corse si l’on décide d’instruire ses enfants avec une (ou des) pédagogie alternative (Montessori mise à part puisqu’elle est désormais très réputée et plébiscitée). Plus encore, on renforce le défi si l’on veut poursuivre dans cette voie avec de grands enfants. Que ces enfants souhaitent passer leurs diplômes en candidat libre et vos belles progression alternatives seront inadéquates !
En utilisant la pédagogie Steiner comme base de notre instruction à la maison, j’avais parfois eu le sentiment de devoir faire le grand écart pour présenter ce que nous faisons à l’équipe pédagogique qui nous contrôlait.
Mais, depuis que nos filles font partie des « grands enfants », l’écart s’est magistralement accentué. Je ne compte plus les heures durant lesquelles j’ai réfléchi à harmoniser notre démarche dans la pédagogie Steiner avec la progression de l’Éducation Nationale afin de montrer, clairement, notre esprit de conciliation et d’ouverture.
C’est une expérience riche et féconde, à n’en point douter, si je me retourne sur nos 8 années d’instruction contrôlées.
Cette harmonisation me semble globalement possible pour les enfants en âge d’être en primaire, et encore possible pour les enfants en âge d’être en 6è et 5è.
Après, ma foi, l’écart se creuse irrémédiablement semble-t-il concernant les enfants en âge d’être en 4è et en 3è. Je ne parlerai pas des enfants en âge d’être au lycée puisque ça n’est pas encore le cas de nos filles. Voici une expérience que nous connaîtrons à partir de la rentrée de septembre 2019.
Je préfère vous le dire sans ambages : c’est désormais un crève-cœur. Toute la belle progression Steiner qui respecte tant les besoins des enfants, les petits comme les grands, est mise à mal par la progression adoptée par l’Éducation Nationale. D’après ce que je sais, la situation est également bien inconfortable pour les collèges Steiner qui affichent cependant des taux de réussite important au DNB.
J’ai beau tourner les programmes dans tous les sens, envolé l’art qui se réduit à la portion congrue, envolées les respirations nécessaires, envolé le temps passé à l’extérieur, réduite à néant la dimension profonde et philosophique, si nous suivons le programme de l’Éducation Nationale. Si nous suivons les manuels prescrits, dessèchement et ennuis nous guettent durant de longues, longues heures…
Et on ne comprends pas pourquoi les enfants n’ont plus le goût d’apprendre ???
L’an dernier, du fait du travail supplémentaire que j’avais en raison de la préparation de mon livre et de sa publication, nous avions déjà testé certains manuels de l’Éducation Nationale.
Les filles en ont eu vite fait le tour, s’ennuyant la plupart du temps. La manière de traiter les matières est tellement répétitive et extrêmement dépourvue d’esprit ou de profondeur.
Rien n’est fait pour les rendre vivantes ; tout y est de surcroît très orienté en terme d’opinion, ce qui énervait beaucoup mes filles : par exemple, les « valeurs » de la ville sont montrées comme étant bien mieux que celles de la campagne…
Pour elles qui vivent en pleine campagne, c’est une opinion trop tranchée. Tout y est traité de manière très matérialiste ; on sent bien la volonté des rédacteurs de coller aux lois économiques dominantes du pays…
Cette année, en concertation avec les filles, nous avions décidé de retenter l’affaire afin qu’elles se préparent pour passer le DNB en candidature libre au mois de juin prochain.
La plus grande aberration pour moi est la technologie (pardon, mesdames et messieurs les enseignants de technologie…) Non seulement c’est une matière qui ne peut intéresser qu’un petit nombre d’enfants à un âge où il serait davantage bénéfique pour eux de faire bien autre chose les aidant dans leur formation intérieure d’être humain (lire des biographies de personnages centraux, aborder la philosophie, la psychologie… par exemple), mais, par ailleurs, plus j’avance dans son étude, plus elle me paraît seulement destinée à « renforcer » les « compétences » de consommateur des enfants et à être de futurs salariés efficaces.
Je n’y vois rien, ou très peu, qui soutient l’enfant dans son développement d’être humain, en tous cas pas tel que c’est enseigné pour être plus précise. Je ne crois pas un seul instant que cette matière est enseignée aux enfants pour eux, pour leur propre développement de leur potentiel unique ; elle l’est pour ce qu’on estime que l’enfant doit savoir afin de servir au mieux certains intérêts de la société…
Elle est enseignée sans favoriser aucun recul sur sa perspective historique et sa signification culturelle, et sans mise en conscience de ses impacts culturels, sociaux et personnels. On ne cherche pas du tout à ce que l’enfant se forge un regard critique sur l’utilisation de la technologie. Et, dans tous les cas, ce n’est de toutes les façons pas ce qui est demandé à l’enfant lors de l’épreuve de technologie du brevet, ceci après lecture de nombreux sujets…
En école Steiner, la technologie est enseignée autour de la 7ème classe (année des 13 ans), mais visiblement ce moment varie d’un établissement à l’autre pour ce que j’ai pu en voir sur le site de plusieurs High Schools dans le monde anglophone, estimant quand même que « la technologie peut attendre » … attendre en fait le moment où le jeune adolescent saura s’en servir comme d’un outil pour rechercher, présenter, utilisant les outils technologiques de manière productive pour le bien-être de tous et non tout simplement pour consommer sans aucune réflexion critique ni analyse des pratiques des médias.
C’est donc parce que l’adolescent a déjà forgé son processus de réflexion – soutenu en cela par une éducation artistique notamment – qu’il peut désormais aborder l’outil technologique (ce n’est donc pas la technologie qui est conçue comme le meilleur moyen de soutenir l’activité de la pensée…)
Durant deux bonnes semaines, nous avons essayé de nous en tenir à une progression type EN ; quel ennui, et que d’effets contre-productifs !
J’ai dû plusieurs fois récupérer une des filles en larmes ou une autre complètement désappointée par ce qu’elle vivait, les motiver plus que de raison à végéter sur des cours qu’elles comprennent que trop bien d’un point de vue intellectuel, mais qui les désespèrent parce qu’ils n’ont pas d’intérêt et de profondeur, pour qu’il ne leur en reste rien en plus.
Car, elles, qui ont une super mémoire et ont toujours beaucoup retenu les blocs que nous faisions de la progression Steiner, ne parviennent pas à vraiment mémoriser les chapitres vus cette année (tout comme ceux vus l’an dernier) avec cette approche.
Il est trop tard pour moi pour refaire tout le programme, cela me demanderait à plein temps au moins un mois de travail, mais il y a moyen de s’arranger pour travailler autrement.
Nous n’avions pas abandonné notre organisation du travail par blocs et nous allons donc travailler dedans dans l’esprit des notebooks (pour une idée de ce qu’est un notebook) ce qui leur permettra notamment de continuer à peindre, dessiner, faire de la musique, lire… A leur âge (14 ans), il y a de toutes les façons besoin de réorganiser la façon de faire certaines des leçons principales selon les blocs, afin qu’elles puissent être davantage actrices de leur apprentissage.
Les filles ont aussi décidé qu’elles tenteraient le DNB quand même mais en sachant à quoi elles seront confrontées, sans surprise. Elles ont vu comment on travaille dans un collège public, je leur ferai faire régulièrement des sujets de brevet en continuant de leur montrer ce qui est demandé aux enfants, mais, pour le reste, nous travaillerons différemment…
Sans regret pour moi.
J’ai beaucoup investi dans l’instruction en famille de nos deux filles, depuis de longues années, afin de leur faire profiter d’un plus grand respect de leur vie, de leur développement, afin qu’elles puissent apprendre à se connaître et à faire jaillir d’elles-mêmes leur beau potentiel, alors nous allons continuer sur cette lancée qui nous a donné tant de satisfaction depuis qu’elles sont petites, surtout à un moment où l’adolescence fragile se manifeste parfois.
Bien sur, la question se posera à nouveau pour le niveau lycée. Comme elles veulent le faire à la maison et passer le bac en candidat libre, nous devrons trouver des arrangements qui nous conviennent tout en leur permettant de se préparer à cette épreuve. Cela me donnera l’occasion d’écrire de nouveaux articles sur la question !
Je n’ai plus peur des contrôles de l’EN ; notre dossier est exemplaire depuis le début.
Je n’ai plus à leur prouver que nos enfants reçoivent bien une instruction. Bien des profs autour de nous sont émerveillés par le niveau et la finesse de réflexion de nos filles, la qualité de leur expression orale, leurs connaissances, les dons qu’elles ont développés…
Oh, tout n’est pas parfait bien entendu, mais elles n’ont rien à envier aux enfants scolarisés. J’ai pu constater lors du dernier contrôles que certains inspecteurs à l’esprit mal tourné (il y en a et c’était une première pour nous en 8 années de contrôle) ne peuvent que pinailler sur des détails insignifiants, en se trompant de surcroît.
Nous ne sommes pas nombreux à continuer la pédagogie Steiner avec les grands enfants. Il y a quelques années, j’avais fondé un groupe Facebook sur ce thème. Voici l’adresse si jamais vous voulez nous y rejoindre Au plaisir de vous y retrouver !
Un livre à vous conseiller sur cette problématique de la technologie, un incontournable à mon sens, L’âge des Low Tech, de Philippe Bihouix, vous savez, celui qui avait défrayé la chronique dans son interview intitulée « Avec l’école numérique, nous allons élever nos enfants « hors-sol », comme des tomates ».
(Hormis le cheval et la fée verte qui sont des dessins libres, les autres peintures ont toutes été élaborées dans le cadre de notre travail depuis septembre : deux études sur l’art byzantin, une sur le trompe l’oeil)
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– Monique